Saturday, March 8, 2014

Golo and Geneviève de Brabant

 from Le Petit Sheriff #87 9 Jan 1954
In Los pasos perdidos (1953) (The Lost Steps), Alejo Carpentier chooses as a book to represent the unsophisticated tastes of the simple peasant people his protagonist encounters on his journey through the Andes, an account of the story of Geneviève de Brabant and Golo. Carpentier contrasts the simplistic naive tale in the gaudily covered paperback with bad paper with the "modern" novel he had abandoned in disgust which is now being read by his urbanized and spiritually lost mistress, Mouche, whom he is soon to also abandon in disgust, while pursuing the grounded and beautiful Rosario:
Mouche sacó un libro de su maleta. Rosario, por imitarle, buscó un tomo en su hato. Era un volumen impreso en papel malo, lleno de escorias, cuya portada en tricromía mostraba una mujer cubierta de pieles de oso o algo parecido, que era abrazada por un magnífico caballero en la entrada de una gruta, bajo la mirada complacida de una cierva de largo cuello: Historia de Genoveva de Brabante. En mi mente se hizo al punto un chusco contraste entre tal lectura y cierta famosa novela moderna que estaba en las manos de Mouche, y que yo había dejado en el tercer capítulo, agobiado por una especie de vergüenza triste ante su caudal de obscenidad.

Man Ray's photograph
of a marionette of
Geneviève de Brabant.
Atelier Mascotte, 1926.
This choice of book — deliberately or unconsciously or coincidentally — has itself sophisticated literary echoes as an emblem of the simple primitive child-like view of the world and its magic. It recalls a passage from Proust where he describes the uneasy and disturbing distraction of a magic lantern projecting images of that same story of Golo and his "hideous designs" and Geneviève de Brabant, intended to provide solace to a bored an unhappy child in the long hours before bedtime.
A Combray, tous les jours dès la fin de l'après-midi, longtemps avant le moment où il faudrait me mettre au lit et rester, sans dormir, loin de ma mère et de ma grand'mère, ma chambre à coucher redevenait le point fixe et douloureux de mes préoccupations. On avait bien inventé, pour me distraire les soirs où on me trouvait l'air trop malheureux, de me donner une lanterne magique, dont, en attendant l'heure du dîner, on coiffait ma lampe; et, à l'instar des premiers architectes et maîtres verriers de l'âge gothique, elle substituait à l'opacité des murs d'impalpables irisations, de surnaturelles apparitions multicolores, où des légendes étaient dépeintes comme dans un vitrail vacillant et momentané. Mais ma tristesse n'en était qu'accrue, parce que rien que le changement d'éclairage détruisait l'habitude que j'avais de ma chambre et grâce à quoi, sauf le supplice du coucher, elle m'était devenue supportable. Maintenant je ne la reconnaissais plus et j'y étais inquiet, comme dans une chambre d'hôtel ou de «chalet», où je fusse arrivé pour la première fois en descendant de chemin de fer.
Au pas saccadé de son cheval, Golo, plein d'un affreux dessein, sortait de la petite forêt triangulaire qui veloutait d'un vert sombre la pente d'une colline, et s'avançait en tressautant vers le château de la pauvre Geneviève de Brabant. Ce château était coupé selon une ligne courbe qui n'était autre que la limite d'un des ovales de verre ménagés dans le châssis qu'on glissait entre les coulisses de la lanterne. Ce n'était qu'un pan de château et il avait devant lui une lande où rêvait Geneviève qui portait une ceinture bleue. Le château et la lande étaient jaunes et je n'avais pas attendu de les voir pour connaître leur couleur car, avant les verres du châssis, la sonorité mordorée du nom de Brabant me l'avait montrée avec évidence. Golo s'arrêtait un instant pour écouter avec tristesse le boniment lu à haute voix par ma grand'tante et qu'il avait l'air de comprendre parfaitement, conformant son attitude avec une docilité qui n'excluait pas une certaine majesté, aux indications du texte; puis il s'éloignait du même pas saccadé. Et rien ne pouvait arrêter sa lente chevauchée. Si on bougeait la lanterne, je distinguais le cheval de Golo qui continuait à s'avancer sur les rideaux de la fenêtre, se bombant de leurs plis, descendant dans leurs fentes. Le corps de Golo lui-même, d'une essence aussi surnaturelle que celui de sa monture, s'arrangeait de tout obstacle matériel, de tout objet gênant qu'il rencontrait en le prenant comme ossature et en se le rendant intérieur, fût-ce le bouton de la porte sur lequel s'adaptait aussitôt et surnageait invinciblement sa robe rouge ou sa figure pâle toujours aussi noble et aussi mélancolique, mais qui ne laissait paraître aucun trouble de cette transvertébration.
Certes je leur trouvais du charme à ces brillantes projections qui semblaient émaner d'un passé mérovingien et promenaient autour de moi des reflets d'histoire si anciens. Mais je ne peux dire quel malaise me causait pourtant cette intrusion du mystère et de la beauté dans une chambre que j'avais fini par remplir de mon moi au point de ne pas faire plus attention à elle qu'à lui-même.
Marcel Proust, Du Côté de Chez Swann

No comments:

Post a Comment